Abbildungen der Seite
PDF
EPUB
[ocr errors]

l'architecture et la sculpture, peuvent ajouter à l'art des paysages. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que, sans que l'auteur se le soit proposé, ce plan accusé de désordre se trouve être parfaitement le même que celui de l'Art poëtique, si vanté pour sa régularité. En effet, Boileau, dans son premier chant, traite des talens du poëte et des règles générales de la poësie; dans le second et le troisième, des différens genres de poësie, de l'idylle, de l'ode, de la tragédie, de l'épopée, etc., en donnant, comme j'ai eu soin de le faire, à chaque objet une étendue proportionnée à son importance; enfin le quatrième chant a pour objet la conduite et les mœurs du poëte, et le but moral de la poësie.

Des critiques plus sévères encore ont reproché à ce poëme le défaut de sensibilité. Je remarquerai d'abord que plusieurs poëtes ont été cités comme sensibles, pour en avoir imité différens morceaux. Des personnes plus indulgentes ont cru trouver de la sensibilité dans les regrets que le poëte a donnés à la destruction

de l'ancien parc de Versailles, auquel il a attaché des souvenirs de tout ce qu'offroit de plus touchant et de plus majestueux un siècle à jamais mémorable; dans la peinture des impressions que fait sur nous l'aspect des ruines, morceau alors absolument neuf dans la poësie françoise et plusieurs fois imité depuis en prose et en vers. Elles ont cru en trouver dans la peinture de la mélancolie, naturellement amenée par celle de la dégradation de la nature vers la fin de l'automne. Elles ont cru en trouver dans cette plantation sentimentale qui a su faire des arbres jusqu'alors sans vie, et pour ainsi dire sans mémoire, des monumens d'amour, d'amitié, du retour d'un ami, de la naissance d'un fils: idée également neuve à l'époque où le poëme des Jardins a été composé, et également imitée depuis par plusieurs écrivains.

Elles ont cru en trouver dans l'hommage que l'auteur a rendu à la mémoire du célèbre et malheureux Cook. Elles en ont trouvé, enfin, dans l'épisode touchant de cet Indien qui,

regrettant, au milieu des pompes de Paris, les beautés simples des lieux qui l'avoient vu naître, à l'aspect imprévu d'un bananier offert tout-àcoup à ses yeux dans le jardin des plantes, s'élance, l'embrasse en fondant en larmes, et, par une douce illusion de la sensibilité, se croit un moment transporté dans sa patrie.

D'ailleurs il est deux espèces de sensibilité. L'une nous attendrit sur les malheurs de nos égaux, puise son intérêt dans les rapports du sang, de l'amitié ou de l'amour, et peint les plaisirs ou les peines des grandes passions qui font ou le bonheur ou le malheur des hommes. Voilà la seule sensibilité que veulent reconnoître plusieurs écrivains. Il en est une beaucoup plus rare et non moins précieuse. C'est celle qui se répand, comme la vie, sur toutes les parties d'un ouvrage : qui doit rendre intéres→ santes les choses les plus étrangères à l'homme: qui nous intéresse au destin, au bonheur, à la mort d'un animal, et même d'une plante'; aux lieux que l'on a habités, ou l'on a été élevé, qui ont été témoins de nos peines ou de nos

1

plaisirs; à l'aspect mélancolique des ruines. C'est elle qui inspiroit Virgile lorsque, dans la description d'une peste qui moissonnoit tous les animaux, il nous attendrit presque également, et sur le taureau qui pleure la mort de son frère et de son compagnon de travail, et sur le laboureur qui laisse en soupirant ses travaux imparfaits: c'est elle encore qui l'inspire, lorsqu'au sujet d'un jeune arbuste qui prodigue imprudemment la luxuriance prématurée de son jeune feuillage, il demande grâce au fer pour sa frêle et délicate enfance. Ce genre de sensibilité est rare, parce qu'il n'appartient pas seulement à la tendresse des affections sociales, mais à une surabondance de sentiment qui se répand sur tout, qui anime tout, qui s'intéresse à tout; et tel poëte qui a rencontré des vers tragiques assez heureux, ne pourroit pas écrire six lignes de ce genre.

Enfin vingt éditions de ce poëme, des traductions allemandes, olonoises, italiennes, deux traductions angloises en vers, répondent peut-être suffisamment aux critiques les plus

sévères. L'auteur ne s'est pas dissimulé la défectuosité de plusieurs transitions froides ou parasites il a corrigé ces défauts dans une édition toute prête à paroître, et augmentée de plusieurs morceaux et de plusieurs épisodes intéressans, qui donneront un nouveau prix à l'ouvrage. C'est surtout pour annoncer cette édition avec quelque avantage, qu'il a tâché de réfuter les critiques trop rigoureuses qu'on a faites de ce poëme. Plusieurs personnes ont affecté de le mettre fort au-dessous de la traduction des Géorgiques: cela est tout simple; cet ouvrage étoit de son invention, et on a préféré de lui céder les honneurs de la traduction.

Ce genre de composition, qui demande des auteurs d'un grand talent, veut aussi des lecteurs d'un goût exquis. Les prolétaires de Rome pouvoient pleurer à la représentation d'Oreste et de Pylade; mais il n'appartenoit qu'à Horace, à Tucca, à Pollion, à Varius, d'apprécier les Géorgiques de Virgile. Eux seuls et leurs pareils pouvoient saisir ces innombrables beautés de

« ZurückWeiter »