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tres que nous avons nommés à nous dire quel feroit l'objet de leur fouhait, ils ne feroient pas en peine de le faire: n'eft-ce pas ? Clinias. Non. L'Athén. Le Législateur ne feroit pas plus embarraffé fans doute. Cli nias. Je ne le pense pas. L'Athén. Adreffonslui donc la parole: Législateur, dites-nous quelles conditions vous exigez & dans quel état vous voulez qu'on vous remette une ville, pour pouvoir vous promettre du reste que vous lui donnerez de fages loix? Que faut-il répondre à cela ? N'est-ce point au Législateur lui-même à expliquer fes intentions? Clinias. Oui. L'Athén. Voici ce qu'il nous dira. Donnez-moi une ville gouvernée par un Tyran, que ce Tyran foit jeune; qu'il ait de la mémoire, de la pénétration, du courage, de l'élévation dans les fentimens: & afin que toutes ces qualités puiffent être utiles au deffein que je me propose, qu'il y joigne cette autre qualité qui, comme nous l'avons dit plus haut, doit accompagner toutes les parties de la vertu. Clinias. Il me femble, Mégille, que par cette qualité qui doit marcher de compagnie avec les autres, l'Etranger entend la tempérance. N'eft-ce

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pas? L'Athén. Elle-même, mon cher Clinias: non celle qu'on pourroit revêtir du titre de fageffe, en prouvant qu'être fage & tempérant c'eft la même chofe; mais celle que le vulgaire appelle de ce nom; celle qui fe montre d'abord dans certains enfans & certains animaux, qui femble née avec eux, & les rend modérés dans l'ufage des plaisirs, tandis que d'autres s'y livrent fans mefure: cette tempérance en un mot dont nous avons dit que, féparée des autres biens, elle n'étoit d'aucun prix, vous m'entendez? Clinias, Oui. L'Athén. Que le Tyran joigne donc cette qualité aux autres, & alors il fera trèsfacile en peu de tems de donner à la ville dont il eft maître, une forme de gouvernement qui la rendra très-heureuse. Il n'y a point, & il ne peut y avoir dans un Etat de difpofition plus favorable à une bonne légiflation.

CLINIAS. Etranger, comment & par quelles raifons nous convaincrez-vous de la vérité de ce que vous dites? L'Athén. Il est aifé, Clinias, de comprendre que la chose doit naturellement être ainfi. Clinias. Quoi! il ne faut, felon vous, rien de plus pour

cela, qu'un Tyran jeune, tempérant, doué de pénétration, de mémoire, de courage, de grands fentimens, & qui ait du bonheur? L'Athén. Ajoutez que je fais confifter ce bonheur en un feul point, fçavoir, que fous fon regne il paroiffe quelque grand Légiflateur, & qu'un heureux hafard les réunif fe enfemble. (6) Lorfque cela arrive, Dieu a fait de fon côté prefque tout ce qu'il peut faire, quand il veut rendre un Etat parfaitement heureux. Le fecond arrangement eft, lorfqu'il fe trouve deux chefs tels que celui que j'ai dépeint: le troifieme, lorfqu'il y en a trois: en un mot la difficulté de l'entreprise croît avec le nombre de ceux qui gouvernent, & au contraire plus ce nombre eft petit, plus elle est facile. Clinias. Ainfi vous prétendez que la plus favorable position d'un Etat pour paffer à un gouvernement excellent, eft la Tyrannie, lorfque le Tyran eft moderé, & fecondé par un légiflateur habile; & que jamais passage ne

peut

(6) Je ne doute point que dans la defcription de ce Tyran, Platon n'ait eu en vue, le jeune Denis de Syracufe, & qu'il n'ait voulu fe défigner lui-même fous le nom de ce grand Législateur.

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peut-être ni plus prompt, ni plus facile: qu'après celle-ci, c'est l'Oligarchie, & enfin la Démocratie. N'eft-ce pas ainfi que vous l'entendez ? L'Athén. Nullement. Mais je mets au premier rang la Tyrannie; au fecond, le gouvernement Monarchique; au troifieme, une certaine efpece de Démocratie; au quatrieme, l'Oligarchie, qui de fa nature eft la moins propre à donner naiffance à ce gouvernement parfait; parce que c'eft dans l'Oligarchie qu'il y a plus de maîtres. Ce changement en effet ne peut s'opérer, qu'autant qu'il fe rencontrera un vrai légiflateur, & qu'il exercera en commun l'autorité avec ceux qui peuvent tout dans l'Etat. Ainfi, quand l'autorité eft raffemblée fur le plus petit nombre de têtes qu'il foit poffible, & qu'elle eft par conféquent plus abfolue, ce qui eft le propre de la Tylo rannie, la révolution ne peut être que trèsprompte & très-facile.

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CLINIAS. Comment cela ? nous ne comprenons pas vôtre penfée. L'Athén. Je vous l'ai cependant expliquée, non une fois, mais plufieurs. Peu: être n'avez-vous jamais vû ce qui fe paffe dans une ville gouvernée par Tome I. K

un Tyran. Clinias. Non; & je ne fuis point curieux d'un pareil spectacle. L'Athén. Vous y trouveriez la preuve de ce que je viens d'avancer. Clinias. De quoi? L'Athén. Qu'un Tyran qui veut changer les mœurs de tout un Etat, n'a befoin ni de beaucoup d'ef forts, ni de beaucoup de tems. Il n'a qu'à frayer lui-même la route par laquelle il veut que fes fujets marchent, foit qu'il ait def fein de les porter à la vertu, ou de les tourner au vice; il fuffit qu'il leur trace dans fa conduite celle qu'ils ont à fuivre, qu'il ap prouve, qu'il récompenfe certaines actions, qu'il en condamne d'autres, & qu'il couvre d'ignominie ceux qui refuferont de lui obéir. Clinias. Nous croyons fans peine que les citoyens fe conformeront en peu de tems aux volontés d'un homme qui a en main des moyens fi puiffans & fi perfuafifs. (7) L'Athén. Mes chers amis, que perfonne ne vous perfuade que, quand il s'agit de changer les loix d'un Etat, il y ait une autre voye plus courte & plus facile, que l'exemple de

(7) J'ai ôté le point d'interrogation qui, dans le texte, fait dire à Clinias le contraire de ce qu'il dit ici. Ce qui aura trompé les Editeurs, c'eft qu'ils auront donné à s le fens de quomodo,

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