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pour mieux dire, n'eft nullement réglé. Cli nias. Que dites-vous-là, Etranger? expliquez-vous plus clairement. Car, comme vous l'avez dit, n'ayant nulle expérience fur ces fortes d'affemblées, où nous n'avons peut-être jamais affifté, nous ne pouvons connoître fur le champ ce qu'il peut y avoir de bien ou de mal réglé. L'Athén Cela doit être. Ecoutez-moi donc; je vais vous mettre au fait. Vous concevez que dans tou te affemblée, dans toute Société, quel qu'en foit l'objet, il eft felon l'ordre qu'il y ait un chef. Clinias. Oui. L'Athén. Nous venons de dire que le chef d'une armée doit être courageux. Clinias. Sans doute. L'Athén. Le chef courageux fera moins fujet que le lâche à fe troubler à la vue du danger. Clinias. Cela eft évident. L'Athén. S'il y avoit quelque moyen de mettre à la tête d'une armée un homme qui ne craignît rien, qui ne fe troublât de rien; ne ferions-nous pas tout au monde pour nous en fervir ? Clinias. Sans contredit.

L'ATHÉN. Or il ne s'agit point ici d'un chef qui commande une armée contre l'ennemi en tems de guerre; mais d'un chef qui

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au fein de la paix préfide à des amis raffemblés pour paffer quelques momens dans une allégreffe commune. Clinias. Fort bien. L'Athen. Une pareille affemblée ne fe tiendra pas fans quelque tumulte, fi la débauche y entre pour quelque chofe. N'eft-ce pas ? Clinias. Non, certes: elle doit même être fort tumultueufe. L'Athén. Il faudra donc avant toutes chofes donner à ces convives un chef. Clinias. Oui; aucune affemblée ne doit en avoir plus de befoin. L'Athén. Ne faut-il pas, fi la chofe eft poffible, lui en procurer un ennemi du tumulte? Clinias. Sans contredit. L'Athén. Il eft encore néceffaire qu'il foit bien au fait des loix d'une telle affemblée; puifque fon devoir eft non feulement de veiller à entretenir l'amitié entre les convives, mais encore de faire fervir leur réunion à en refferrer les nœuds de plus en plus. Clinias. Rien de plus vrai. L'Athén. Ainfi il faut mettre à la tête de cette troupe échauffée par le vin un chef fobre & fage: car s'il a les qualités contraires, s'il eft jeune, peu fage, & qu'il faffe la débauche avec eux, il aura bien du bonheur, s'il n'en réfulte pas quelque grand mal. Clinias. J'en conviens.

L'ATHÉN. Dans la fuppofition donc que ces affemblées fuffent auffi parfaitement réglées dans les Etats, qu'elles peuvent l'ê tre, fi l'on venoit après cela à les condamner, & qu'on trouvât à redire au fond même de la chofe, il fe pourroit faire que cet te cenfure fût fondée en raison. Mais fi on n'est porté à les blâmer, que par la vue du défordre extrême qui y regne aujourd'hui, il cft évident premiérement qu'on ignore les chofes ne fe paffent point comme que les devroient fe paffer: en fecond lieu, que toute autre affemblée paroîtra fujette aux mêmes inconvéniens, lorfqu'elle fera desti tuée d'un maître & d'un chef fobre. Ne re marquez-vous pas en effet qu'un pilote yvre ou tout autre chef renverfe tout, vaiffeau, char, armée, en un mot tout ce qui eft confié à fa conduite ?

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CLINIAS. Ce que vous dites, Etranger, eft dans l'exacte vérité. Mais je voudrois fçavoir, ce qui eft une fuite de tout ceci, quel avantage il en reviendroit, au cas qu'on ob fervât dans les banquets les régles que vous avez marquées. Et pour me fervir des ex emples qu'on vient de citer; un bon Général

à la tête d'une armée, eft pour elle un gage 1 affûré de la victoire, laquelle n'est pas un

bien médiocre: il en eft de même de tout le refte. Quel avantage pareil retireroient done les Etats ou les particuliers, d'un banquet réglé avec tout l'ordre poffible? L'Athén. Quel grand bien croyez-vous qu'il réfultât pour un Etat de la bonne éducation d'un enfant, ou même d'un chœur d'enfans? Si l'on nous faifoit une femblable queftion, ne répondrions-nous pas qu'un feul enfant bien élevé eft un petit objet pour tout l'Etat? Mais fi vous me demandiez en quoi l'éducation de toute la jeuneffe intéreffe le bien public, il ne feroit pas difficile de vous répon dre, que les jeunes gens bien élevés feront un jour de bons citoyens; qu'étant tels, ils fe comporteront bien en toutes rencontres, & qu'en particulier ils remporteront à la guerre la victoire fur l'ennemi. Ainfi la bonne éducation amene après foi la victoire: mais la victoire à fon tour pervertit quelquefois l'éducation. Car plufieurs enflés de leurs fuccès, en font devenus plus infolens; & leur arrogance les a plongés enfuite dans les plus grands malheurs. Jamais une

bonne éducation n'a été funeste à perfonne; au lieu que les fuccès à la guerre ont été & feront funeftes à bien des nations. (28)

CLINIAS. Vous me paroiffez perfuadé que les banquets, pourvû qu'ils se passent dans l'ordre, font d'une grande conféquence pour l'éducation. L'Athén. Je n'en doute point. Clinias. Oferiez-vous m'affurer que ce que vous dites-là eft vrai? L'Athén. Comme bien des gens font en cela d'un avis différent du mien, il n'y a qu'un Dieu qui puifle affûrer que la chofe eft en effet telle que je dis. Mais fi vous voulez fçavoir ma pensée là-deffus, je vous en ferai part avec plaifir, puifqu'auffi bien nous fommes en train de parler de loix & de politique. Clinias. C'est auffi vôtre façon de penfer que nous ferions bien aifes de connoître, dans un fujet où les fentimens font fi partagés. L'Athén. Il faut

fe

(28) Il me parott que ce trait regarde directement les Lacédémoniens, qui allerent toujours fe corrompant, de puis que par leurs victoires ils eurent pris un certain af cendant fur les autres Grecs, & en particulier fur leurs rivaux les Athéniens. La guerre du Péloponnèfe ne fut pas moins fatale aux vainqueurs qu'aux vaincus; elle rui ha la puiffance des uns, & les mœurs des autres. Je remarque auffi que Platon fe fert de l'expreffion Пaideia Kaduela, par allufion au proverbe, Kaduɛía vixy, qui fignific une victoire funefte au vainqueur. Voyez Suidas

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