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mœurs, ou une certaine habitude, ne puiffent ni les goûter, ni les louer, & difent qu'elles ne font pas belles. A l'égard de ceux qui ont naturellement un goût fain, avec de mauvaises habitudes, ou de bonnes habitudes avec un goût naturellement mauvais; 23: c'est encore une néceffité que leurs éloges tombent fur des objets différens de ceux qui leur caufent du plaifir: car ils difent des mêmes chofes qu'elles les affectent agréablement & qu'elles font mauvaises: & lorsqu'ils font en présence de perfonnes qu'ils croyent en état d'en bien juger, ils ont honte d'exécuter ces fortes de danfes & de chants, comme fi leur empreffement à le faire étoit un témoignage qu'ils les trouvent belles; cependant ils y prennent intérieurement du plaisir. Clinias. Vous dites vrai.

L'ATHÉN. Mais le plaifir qu'on prend à des figures ou à des chants vicieux, n'apporte-t-il point quelque préjudice ; & ne revientil point de grands avantages à quiconque fe plaît aux danses & aux chants oppofés? Clinias. Il y a apparence. L'Athén. Y a-t-il parence feulement, ou n'eft-il pas néceffaire qu'il arrive ici la même chose qu'à ceux qui

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étant engagés dans le commerce d'hommes méchans & corrompus, fe plaifent en leur compagnie, au lieu de la détefter, condamnant feulement par forme de badinage & comme en fonge leurs mauvaifes inclinations? Ne faut-il pas que tôt ou tard on reffemble à ceux avec qui l'on aime à vivre, foit bons, foit méchans, quand même on auroit honte de les louer ouvertement ? Croyez-vous néanmoins qu'il puiffe y avoir pour quelqu'un un plus grand bien ou un plus grand mal que celui-là? Clinias. Je ne le crois pas. L'Athén, Penfons-nous qu'en quelque Etat que ce foit, qui eft ou qui fera un jour gouverné par de bonnes loix, on laiffe à la difpofition des Poëtes (3) ce qui concerne l'éducation & les divertiffemens que nous tenons des Mufes; & qu'à l'égard de la mefure, de la mélodie ou des paroles, on leur accorde la liberté de choisir ce qui leur plaît davantage, pour l'enseigner enfuite dans les chœurs à une jeunesse née de citoyens vertueux, fans

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(3) Chez les Grecsle Poëte étoit Muficien, & compo foit en même tems les paroles, l'air, & les pas, lorf que les vers étoient de nature à être chantés en danfang De plus, le mot Poëte fe dit en général de tout compofi teur, foit de vers, foit de chants, foit de danfes.

fe mettre en peine fi ces leçons la formeront à la vertu ou au vice? Clinias. Cela ne feroit nullement raifonnable. Megille. Non, affurément. L'Athén. C'eft cependant ce qui eft abandonné aujourd'hui à leur difcrétion prefqu'en tous les pays du monde, excepté l'Egypte. Clinias. Comment les chofes fontelles réglées en Egypte à cet égard? L'Athén. D'une maniere dont le récit vous furprendra.

IL y a longtems, à ce qu'il paroit, qu'on a reconnu chez les Egyptiens la vérité de ce que nous difons ici, qu'il faut dans chaque Etat accoutumer de bonne heure la jeuneffe à ce qu'il y a de plus parfait en genre de figure & de mélodie. C'eft pourquoi après en avoir choifi & déterminé les modeles, ils les ont exposés aux yeux du public dans les temples. On n'y a jamais permis, & on n'y permet pas encore aujourd'hui, ni aux Peintres, ni aux autres artiftes qui font des figures ou d'autres ouvrages femblables, de rien innover, ni de s'écarter en rien de ce qui a été réglé par les loix du pays: la même chofe a lieu en tout ce qui appartient à la Mufique. Et fi on veut y prendre garde, on trou

vera chez eux des ouvrages de Peinture ou de Sculpture faits depuis dix mille ans (quand je dis dix mille ans, ce n'eft pas pour ainfi dire, mais à la lettre:) qui ne font ni plus ni moins beaux que ceux d'au jourd'hui, & ont été travaillés fur les mê mes régles. Clinias. Voilà en effet qui eft admirable. L'Athén. Oui : c'eft un chef-d'œu vre de légiflation & de politique. Leurs autres loix ne font peut-être pas exemptes de défauts: mais pour celle-ci touchant la Mufique, elle nous prouve une chofe vraye & bien digne de remarque, fçavoir qu'il est poffible de déterminer par des loix quels font les chants beaux de leur nature, & d'en preferire avec confiance l'obfervation. Il eft vrai que cela n'appartient qu'à un Dieu ou à un homme divin: auffi les Egyptiens attribuent-ils à Ifis ces poëfies qui fe confervent chez eux depuis fi longtems. Si donc, comme je difois, quelqu'un étoit assez habile pour faifir ce qu'il y a de parfait en ce genre, il doit fans crainte en faire une loi & en ordonner l'exécution; perfuadé que les fențimens de plaifir & de peine qui portent fans ceffe les hommes à inventer de nouveaux

genres de Mafique, n'auront pas atez de force pour abolir des modeles une fois confacres, fous pretexte cu'ils font farannes. Du moins voyons-nous qu'er Egypte, loin qu'ils ayent pu les abolit, tout le contraire eft arrivé. Clinias. I paroit fuivant ce que vous dites, que la chofe doit être ainû.

L'ATHÉN. Hé-bien, prendrons-nous la hardieffe d'expliquer quel eft le vrai ufage de la Musique, & de cet amufement mêle de danfes & de chants, de l'expliquer, dis-je, à-peu-pres de cette maniere? Neft-il pas vrai qu'on reffent de la joye, lorsqu'on fe croit heureux; & que réciproquement on fe croit heureux, lorfqu'on reffent de la joye? Clinias. Cela eft certain. L'Athén. L'effet naturel de la joye n'eft-il point de caufer un certain treffaillement qui ne permet pas de demeurer en repos? Clinias. Cela eft encore vrai. L'Athén. Dans ces momens, les jeunes gens ne font-ils pas prêts à danfer & à chanter? Pour ceux de nôtre âge, comme ils n'ont plus la foupleffe & l'agilité néceffaire, ils fe conforment à leur état préfent, en témoignant leur joye à la vue des jeux & des fê tes de la jeuneffe; & le regret qu'ils ont do

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