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leurs forces paffées, les engage à proposer des prix à ceux qui réveilleront plus fortement en eux le fouvenir de leurs premiers ans. Clinias. Vous avez raifon. L'Athén. Croyons-nous que ce foit tout-à-fait fans fondement qu'on dit d'ordinaire des acteurs de ces jeux, que celui qui divertit & réjouït davantage les fpectateurs, doit pa Ter pour pa Ter le plus habile, & mérite d'être couronné? En effet, puifque ces fêtes font inftituées pour délaffer l'efprit, il est dans l'ordre que la victoire & tous les honneurs foient, comme j'ai dit, pour celui qui aura le plus contribué au plaifir de l'affemblée. Ce difcours n'eft-il pas raisonnable, & fi cette régle étoit fuivie, pourroit-on y trouver à redire? Clinias. Je ne le pense pas.

L'ATHEN. Ne prononçons pas fi vite fur cette matiere, mon cher Clinias; confidérons auparavant nôtre objet fous toutes fes faces nous y prenant de cette forte. Suppofons que quelqu'un propofe une fête, fans fpécifier quels en feront les jeux, comme gymniques, équeftres ou muficaux ; & que rassemblant tous les citoyens, il leur déclare que ce fera purement un combat de plaifir.

que chacun d'eux peut y venir difputer le prix, & que la victoire demeurera à celui qui aura le mieux diverti les fpectateurs, n'importe de quelle maniere, & aura été jugé le plus amufant de tous les difputans. Quel effet penfez-vous que produisît une pareille déclaration? Clinias. Par rapport à quoi ? L'Athén. Selon toute apparence, les uns viendroient y réciter quelque poëme héroïque, comme eût pu faire Homere; d'autres y chanteroient des vers fur le luth: celui-ci joueroit une Tragédie, celui-là une Comédie. Je ne ferois pas même furpris qu'il y vînt quelque Charlatan avec des automates, & qu'il fe flattât plus qu'aucun autre de l'efpérance de la victoire. Parmi tous ces concurrens, & une foule d'autres femblables qui ne manqueroient pas de s'y rendre, pourriez-vous me dire lequel mériteroit le prix à plus jufte titre? Clinias. Cette question est abfurde: Et quel homme s'aviferoit de la décider, comme ayant connoiffance de cause, avant que d'avoir entendu chacun d'eux, & jugé par foi-même de leur mérite?

L'ATHÉN. Voulez-vous que je réponde à cette queftion qui vous paroît fi abfurde?

Clinias. Voyons. L'Athén. Si les petits enfans font pris pour juges, n'eft-il pas vrai qu'ils fe déclareront en faveur du montreur de curiofités? Clinias. Sans contredit. L'Athén. Que le fuffrage des enfans un peu plus grands fera pour le Poëte Comique; & celui des femmes d'un efprit cultivé, des jeunes gens, en un mot, de la plupart des fpectateurs, pour le Poëte Tragique? Clinias. Cela eft vraisemblable. L'Athén. Quant à nous autres vieillards, il n'eft pas douteux que nous ne priffions plus de plaifir à entendre un Rhapsode nous expofer, comme il faut, l'Iliade, l'Odyffée, ou quelques morceaux d'Héfiode, & que nous ne lui donnaffions la préférence. N'est-ce pas ? Clinias. Oui. L'Athén. Dans cette diverfité de jugemens, à qui fera de droit la victoire? Il est évident que nous ne pouvons nous difpenfer vous & moi de l'attribuer à celui qui aura eu le fuffrage des fpectateurs de notre âge: puisque partout & dans toutes les Cités on met une extrême différence pour la bonté entre nos mœurs & celles des jeunes gens. Clinias. Sans doute.

L'ATHÉN. Je demeure donc d'accord avec

le vulgaire qu'il faut juger de la Mqe par le plaifir qu'elle caufe, non toutefois auc premiers venus: mais que la plus belle MAC est celle qui plait davantage aux gens de bien, fuffifamment infruits d'ailleurs; & plus encore celle qui plait à un feul, diffin3gué entre tous du côté de la vertu & de education. Et la raifon pour laquelle j'exige de la vertu de ceux qui doivent prononcer fur ces matieres, eft qu'outre la prudence qui leur eft néceffaire, ils ont encore befola d'un grand courage. Il ne convient pas en effet à quiconque fait l'office de juge, d'enprunter les lumieres d'autrui pour porter fon jugement; ni de fe laiffer troubler & déconcerter par les acclamations de la multitude

&

par fa propre ignorance. Il convient encore moins qu'il prononce contre fes lumieres par lâcheté & par foibleffe; & que de la même bouche dont il a pris les Dieux à témoins de dire la vérité, il se parjure en trahissant indignement fa pensée. Car ce n'est pas pour prendre des leçons des fpectateurs, que le juge préfide aux jeux, mais plutôt pour leur en donner, & pour s'opposer à ceux qui ne feroient pas du plaifir une estimation jufte &

convenable. L'abus contraire autorifé autrefois dans la Grece, comme il l'eft encore aujourd'hui en Sicile & en Italie, qui laisse le jugement de ces jeux à la multitude affemblée, & déclare vainqueur celui pour qui plus de mains fe font levées, a produit deux méchans effets: le premier, de gâter le goût des auteurs, qui par là fe font vus affervis au mauvais goût de leurs juges, enforte que ce font les fpectateurs qui leur donnent des leçons: le fecond, de corrompre le plaifir du théâtre; parce qu'au lieu que le plaifir de l'affemblée devroit s'épurer chaque jour, par des pieces dont les mœurs feroient meilleures que les fiennes, tout le contraire arrive aujourd'hui par la faute des auteurs. (4)

(4) Je ne veux point m'étendre dans mes notes. Mais je prie le Lecteur d'approfondir la maxime de Platon, que les mœurs des pieces de Théâtre doivent être plus parfaites que celles du Parterre ; maxime qui ne peut être contestée par ceux qui font du Théâtre une école des mœurs je crois qu'il y découvrira la pleine réfutation de ce beau fyftême inventé par Ariftote, que le Thea tre purge les paflions par les paffions-mêmes. Ariftote a pris le Théâtre tel qu'il étoit de fon tems, & l'a voulu juftifier: ce qu'il a fait avec plus de fubtilité que de vérité. Platon a confidéré le Théâtre tel qu'il doit être, & n'y a trouvé nul trait de reffemblance avec ce qu'il efl. Qui le croiroit! Ariftophane même a reproché à Euripide, fa Phédre, fa Sténobée, & d'autres caracteres fembla bles. Ariftote dans fes principes eût-il pù lui faire le même reproche ?

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