Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

sède une sagacité peu commune. L'amour d'Othello et de Desdemona commence sous d'heureux auspices: la renommée, la haute faveur, le grand caractère d'Othello semblent leur promettre une félicité durable. Mais, son sang, que les feux du soleil d'Afrique ont brûlé, contient un poison qui doit troubler la paix de la couche nuptiale: la jalousie, cette passion terrible qui le maîtrise, mine leurs vies et les enlève tous deux à la terre. Tout l'intérêt de l'histoire, tout le cours de l'action, sont dans le cœur d'Othello. De sa passion dépend la destinée de ceux qui doivent périr. Il ne se présenta presque jamais comme amant, mais toujours comme maître. Le récit de son amour c'est l'histoire de la vie austère et périlleuse d'un guerrier; son amour, une douce affection, une tendresse protectrice. Je l'aimais, dit-il, parce que j'avais pitié d'elle. Passionné, sévère et immuable, Othello avait placé toute sa confiance, toutes ses idées de pureté, toute sa tendresse naturelle sur le cœur de Desdemona; et ce cœur lui paraît tout-à-coup l'asile de la perfidie. Cette idée agite tout son être ; il se croit entièrement trahi. L'objet de ses affections, de son choix, devait lui tenir lieu de l'orgueil du guerrier; il ne devait vivre que par elle; et le rêve du bonheur qu'il s'était promis a fait place au délire qui le torture.

Shakspeare ne présente pas d'abord Iago comme ayant résolu la perte de Desdemona et de Cassio: les objets qu'il a en vue, c'est de se mettre en possession des richesses de Roderigo et d'être préféré à Cassio; mais voyant l'horizon s'obscurcir autour de lui, le ferme, l'intrépide Iago ne veut pas rester court, quoi qu'il puisse en arriver. Sous ce point de vue, sa conduite paraît vraisemblable; il veut (comme cela est naturel au cœur humain) se faire illusion au point de se croire un moment sous le jour d'un honnête homme.

Et qui peut donc se dire qu'il joue le rôle de scélérat, pour juger des actions des hommes. Il sait que le mérite de Cassio consiste plus dans la théorie que dans la pratique de la guerre; il comprend parfaitement Roderigo; il n'ignore pas quel est l'aimable naturel de Desdemona; il loue souvent le caractère noble et libre d'Othello; il comprend toute la force des réflexions que fait Cassio sur le mérite de la vertu : tout en faisant semblant de les mépriser, il affecte des sentiments de bienveillance, de fidélité et d'attachement aux intérêts d'Othello, de Cassio et de Roderigo, selon les circonstances où ils se trou

vent. Son emportement, sa prudence simulée dans son entrevue avec Othello indiquent la scélératesse la plus profonde : ne trouvant pas le moyen de satisfaire Roderigo, il le fait adroitement servir à ses propres intérêts. Rendre Cassio odieux par des calomnies scandaleuses, et, par ce moyen, se faire préférer à lui, voilà le projet qu'il a en vue, projet qu'il ne croit pas, peutêtre, avoir des suites si fatales. Sa conduite au corps-de-garde, le zèle empressé avec lequel il prend les intérêts de Cassio, ses insinuations perfides contre l'honneur de Desdemona, cette intelligence satanique qui, se pliant à toutes les circonstances, épie tous les mouvements d'Othello, afin de noircir l'innocente victime, semblent être, comme l'a fait remarquer M. Alfred de Vigny, le type qui rassemble dans un seul role tous les traits des Tartufes, des Mephistophelès, des Figaro et des Don Juan. Il allume la jalousie d'Othello par des demi-confidences; il agite et trouble son âme en lui ouvrant une source confuse de soupçons; et, lorsqu'enfin, frénétique de jalousie et de rage, Othello, tourmenté de mille raisonnements contraires, flotte entre l'espoir et la crainte, c'est alors qu'il déploie la scélératesse la plus habile. Qui peut lire ou entendre ces scènes admirables sans être vivement touché de la douleur d'Othello? Plongé dans un océan de troubles qu'il n'a pas mérité, nous le voyons déchiré par les tortures les plus cruelles,

La douceur, la pureté, la modestie de Desdemona, l'ardeur de son amour, sa résignation dans la détresse la plus déchirante, toutes ces perfections captivent fortement notre attention et excitent notre intérêt. Ce n'est pas un amour vulgaire qui l'attache à Othello; elle ne voit en lui que l'âme du guerrier, les aventures qu'il a courues, les dangers auxquels il s'exposait; ses vertus, ses hautes qualités ont fixé son estime. Oubliant le teint noir et l'âge avancé de l'Africain, elle ne voit que sa passion nouvelle qui supplée à sa jeunesse; son élévation, sa force, sa tendresse lui tiennent lieu de toutes les qualités physiques. Son caractère pur et désintéressé se montre toujours le même dans sa conduite avec les personnages qui l'entourent. Quelle noblesse, quelle dignité dans ses réponses aux injurieux soupçons du More! elle ne peut pas croire qu'il est jaloux; elle se croit plongée dans un rêve. Qu'elle est touchante cette scène qui précède sa mort! les ordres qu'elle donne pour mettre sur son lit ses draps de mariage, sa romance du

Saule (1), son agitation, ses pensées mélancoliques, son absence d'esprit, la frayeur que lui cause le sifflement du vent; toutes ces circonstances touchantes produisent l'effet le plus pathétique, en préparant l'esprit du spectateur attendri à la catastrophe fatale: c'est le calme précurseur de l'orage.

Quelle scène encore que cette scène du dénouement! qu'elle est déchirante! Un reste de tendresse lutte avec la vengeance dans le cœur d'Othello; mais il se regarde comme l'exécuteur des arrêts du ciel. Ce n'est pas pour satisfaire un naturel sauvage qu'il la tue. Le spectateur révolté se détournerait avec dégoût d'une pareille scène. Il croit agir au contraire d'après les plus nobles principes de l'honneur et de la justice. Le combat qu'il se livre, les sensations qu'il fait naître font le plus grand triomphe du poète tragique. Lorsque Othello découvre l'innocence de Desdemona et les intrigues d'Iago, il ne veut pas croire d'abord qu'il a agi d'après des motifs faux, mais confondu par l'évidence contraire, dans son trouble il profère quelques mots incohérents; enfin, déchiré de douleur et de remords il met un terme à son existence. Il n'y a point d'éloquence, comme l'a fait remarquer Schlegel, capable de peindre la force accablante de la catastrophe dans Othello, ni l'expression des sentiments qui fait mesurer, dans un moment, les abîmes de l'éternité.

Shakspeare a peint l'amour dans plusieurs de ses drames sous les couleurs les plus brillantes. Ecoutons les accents plaintifs de la gentille Helena : « Hélas! d'après tout ce que j'ai pu lire ou entendre raconter, le véritable amour n'a jamais un cours tranquille. Ce sentiment n'est jamais le même dans le cœur des hommes. Dans l'un il est mal placé d'après les disproportions d'àge; dans l'autre il est mal récompensé du choix qu'il a fait, ou, s'il y rencontre de la sympathie, la guerre, la mort ou la maladie viennent l'assiéger; elles en font un son passager, une ombre légère, un rêve de courte durée; en un mot, comme un éclair qui, dans la nuit obscure, fait apercevoir par sa triste lumière le ciel et la terre; et avant que l'homme puisse

(1) Nous ajoutons la première stance de la ballade du Saule.

c'est

« Une pauvre ame était assise en soupirant sous un sycomore: ô saule, saule, saule! La main sur son sein, la tête sur ses genoux : ô saule, saule, saule! ô saule, saule, saule! Chantez: oh! le saule vert sera ma guirlande, etc. »

dire regardez le gouffre de l'obscurité l'a dévoré; tant les choses brillantes se dissipent promptement! >>

La tendresse romanesque d'Imogen et de Viola, l'affection filiale de Cordelia et d'Ophelia, la naïveté de Perdita et de Miranda, la vivacité et l'esprit de Rosalinde et de Beatrice, la vertu sublime d'Isabella et de Portia, enfin les innombrables beautés de toutes ces créations si variées et si ravissantes, offrent le tableau le plus enchanteur; mais, nulle part notre poète n'a dépeint l'amour sous des formes plus admirables que dans les tragédies de Roméo et Juliette et d'Othello. Dans les autres pièces l'amour sert de broderie, de délassement; dans ces deux dernières il domine, mais il domine seul. En relisant la première de ces charmantes productions, qui ne serait tenté de s'écrier avec Schlegel : « Il était >> réservé à Shakspeare de réunir, dans son Roméo et Juliette, >> sous une seule peinture idéale, le pureté de cœur et la viva» cité d'imagination, la douceur et la dignité des mœurs et la » violence de la passion. Par la manière dont il a conduit son » poème, il a fait un chant de gloire sur ce sentiment inexpri>> mable qui anoblit l'âme, la porte à son plus haut degré de » sublimité et élève même ses autres sentiments; il a fait, en >> même temps, une élégie mélancolique sur la fragilité de cette >> passion, fragilité qu'elle doit à sa nature même et aux cir>> constances extérieures : c'est à la fois l'apothéose et les ob>> sèques de l'amour. Cet amour paraît ici comme une étin» celle céleste qui descendant sur la terre se convertit en » flamme brillante, brûle et consume presqu'en même temps » les créatures mortelles. On respire dans ce poème tout ce >> que le souffle embaumé du printemps a de plus enivrant, tout >> ce que le chant du rossignol a de plus langoureux, tout ce » que le premier épanouissement de la rose a de plus volup» tueux. De la première déclaration d'amour timidement ha» sardée et du modeste passage à une passion sans bornes, >> l'auteur arrive à une union irrévocable avec plus de rapidité » que n'en mettent à se flétrir les premières fleurs de la >> jeunesse et de la beauté; puis, à travers les tempêtes alterna>>tives du ravissement et du désespoir, il vient à la mort des >> deux amants qui paraît encore digne d'envie, parce que leur >> amour leur survit et parce que cette mort les fait triompher » de tous ceux qui les ont désunis. L'amour le plus tendre et

» la haine la plus amère, la gaité et les noirs pressentiments, » les doux embrassements et le tombeau, la plénitude de la >> vie et l'anéantissement de soi-même sont tous ici placés l'un » près de l'autre; tous ces contrastes sont tellement mélés et >> fondus, dans cet harmonieux et merveilleux ouvrage, par >> une seule et unique impression, que l'écho qu'elle laisse >> après elle dans l'esprit ressemble a un soupir longuement >> prolongé. >>

Veut-on une preuve du contraste entre l'amour de Roméo et de Juliette et d'Othello, qu'on relise cette magnifique scène du Balcon, que nous sommes heureux de pouvoir offrir pour la première fois dans les beaux vers de M. EMILE Deschamps. Le premier Acte s'est terminé par le Bal, où Juliette et Roméo se sont vus. Un regard, un instant ont décidé de leur vie entière. Le second Acte commence par la fameuse SCÈNE du Balcon.

LE JARDIN DES CAPULETS.

Il fait nuit: la lune éclaire faiblement la terrasse de Juliette à

gauche.

Roméo seul. (Il vient de franchir les murs du jardin, et il entend au loin les plaisanteries de ses amis.)·

Avec eux plus long-temps pouvais-je rire ainsi,
Et me trainer plus loin quand mon cœur est ici?
On rit du mal d'amour avant de le connaitre !
-Quelle clarté là-bas brille à cette fenêtre ?

(Juliette parait derrière la fenêtre éclairée.)
Approchons. C'est le jour naissant, c'est le soleil,
C'est Juliette !... Viens, astre pur et vermeil,
Lève-toi, plus brillant que celui qui m'éclaire;
Oui, Diane jalouse a pâli de colère

En se voyant moins fraiche et moins belle que toi,
Qui n'es qu'une mortelle attachée à sa loi.
Oh! renonce à son culte, à cette loi fatale;
Dépouille, pour aimer, ta robe de vestale;

La couleur en est triste et ne te convient pas.

Oui, c'est bien elle, un charme enchaine ici mes pas.

Voilà ma souveraine, oui, c'est ma bien-aimée,

Viens, apprends tous les noms dont mon cœur t'a nommée!
(Il approche encore.)

Je crois la voir parler et n'entends pas sa voix...
Ses yeux ont un langage; ils parlent, je les vois.

« ZurückWeiter »